Le repas de famille qui tourne au pugilat, non-dit, messes basses et reproches en tout genre, c’est ça aussi l’esprit de Noël!
– Des porte-couteaux, merci vraiment, j’en avais toujours rêvé !
Sandrine colle quatre bises sur les joues de sa sœur aînée. C’est fou comme on peut être totalement faux-cul le 24 décembre, l’estomac lesté par trois plats. Affalée sur le canapé, la trentenaire tripote les grosses perles de son collier ramené de Goa, une coupe de champagne à la main.
– Elle est gonflée la frangine ! Elle s’imagine vraiment que je vais sortir mes super porte-couteaux à mon prochain dîner ?
Déjà ses mômes, l’air pénétré, à la messe de minuit, elle a rien dit… Il fallait les voir récitant leur caté dans la voiture, col Claudine pour Marie et chemise blanche, comme dans la pub K2R, pour Joseph. Elle a même réussi à retenir un fou rire quand son regard a croisé celui de l’abbé Moutard. Plus elle observe sa sœur et son beauf, plus Sandrine se dit qu’il y en a qui ne prennent vraiment aucun risque en se jurant fidélité. Il suffit de voir sa sœur s’encanailler en dansant la gavotte dans sa jupe sapin-de-noël pour avoir une idée de sa sexualité.
– Je ne sais pas si c’est physiologique, mais elle a le bassin le plus statique que j’ai jamais vu.
Au comble du lâcher-prise, la frangine envoie valser la mèche de son carré badigeonnée de laque. Effet immédiat sur son mari, qui lui répond par un regard lubrique. Avec un peu d’imagination, Jean-Jacques a dû être beau au lycée. Avant que la calvitie ne ronge le haut de son crâne et que son costard ne le boudine. Sandrine enchaîne les verres de rouge. Elle part en expédition aux toilettes. Vacillante. Dans la salle de bain, elle croise sa sœur qui replace sa mèche, tout émoustillée.
– Tu sais Sandrine, Maman, Papa, Jean-Jacques et moi, on s’inquiète pour toi. Tu vas avoir 40 ans. On ne comprend pas que tu n’aies pas encore trouvé chaussure à ton pied. Tu es peut-être trop difficile. À moins que tu sois, comment dire… plutôt portée sur les femmes. Tu sais, tu es ma petite sœur, tu peux tout me dire…
Sandrine se lave les mains. Après une soirée passée à se retenir, elle s’entend répondre très sérieusement :
– Nan, mon truc c’est plutôt les petits animaux morts.
Ça y est, elle a encore craqué. Elle n’aurait pas dû faire de mélanges.